mercredi, janvier 27, 2010

50 ANS DE VIE POLITIQUE POST COLONIALE A MADAGASCAR : L’INNOMMABLE DESASTRE

Ile-continent de 592 000 kms2 située à 400 kms des côtes orientales africaines et à 10 000 kms de la France, Madagascar célèbrera dans six mois le cinquantième anniversaire de son indépendance. Ses quelque 19 millions d’habitants, dont au moins 70 % vivent, d’après les spécialistes, en-dessous du seuil de pauvreté, auront-ils la tête et le cœur à se réjouir de cet important évènement ? Rien n’est moins sûr. Leur seule et véritable préoccupation, aujourd’hui, se focalise sur la recherche de la pitance quotidienne dans un monde totalement absurde où la surconsommation et l’opulence la plus criante du plus petit nombre cohabitent avec la famine et l’indigence la plus dégradante du plus grand nombre. La Grande Ile fait partie des pays les plus pauvres du monde et ne doit, désormais, sa survie qu’à l’afflux des aides internationales et au développement d’une économie parallèle informelle où le népotisme, le copinage, l’affairisme, la vénalité et la corruption rongent, comme un gigantesque cancer, tous les rouages de la vie politique, économique, financière, sociale et culturelle du pays.

Comment et pourquoi cette île qui fut pourtant l’un des plus beaux fleurons de l’Afrique francophone au lendemain de la décolonisation de 1960 en est-elle arrivée là ?
Il serait hasardeux d’expliquer le déclin de ce pays, qui regorge pourtant de ressources naturelles agricoles et minières abondantes et variées, par de simples théories économiques qui mettent en avant, par exemple, son éloignement géographique par rapport aux grands centres d’intérêt commerciaux et financiers mondiaux, son climat capricieux qui ravage régulièrement ses régions côtières, son manque d’ouverture et d’intégration commerciale et financière, notamment vis-à-vis des grands pôles commerciaux africains régionaux (COMESA, SADC) (1), ou encore la faiblesse des efforts financiers qu’il peut déployer pour assurer la promotion de ses ressources humaines. Ces facteurs doivent, naturellement, être pris en compte, mais une analyse poussée de leurs prétendus impacts sur la situation conduit très rapidement à démontrer qu’il s’agit, en réalité, d’évidentes contre-vérités. En tout état de cause, ils ne peuvent pas, à eux seuls, expliquer l’important retard pris par la Grande Ile en termes, notamment, d’infrastructure, de technologie ou encore de développement humain.

Le sous-développement chronique de Madagascar, «conséquence dramatique de quatre décennies de régression quasiment ininterrompue des niveaux de vie» (2) s’explique peut-être aussi, et sans doute principalement, par les turpitudes de ses dirigeants politiques et l’inadéquation de ses principales institutions, lesquelles ont ouvert la voie à de graves dérives en matière de gouvernance. Nous allons essayer d’en faire la démonstration.


Le « libéralisme socialisant» de Philibert Tsiranana et ses vicissitudes.

Successivement Protectorat (1895), Colonie (1896) et République membre de l’Union française (1958-1960), avant de recouvrer son indépendance le 26 juin 1960, la Grande Ile s’est fait remarquer, pendant les douze premières années de son indépendance, par sa légendaire stabilité politique. Cette première période postcoloniale présidée par Philibert Tsiranana, fut particulièrement marquée par l’omniprésence et l’omnipotence des conseillers techniques étrangers - français dans leur quasi-totalité - qui étaient aux commandes des principaux leviers de la machine administrative, économique et financière du pays. Madagascar connut néanmoins une certaine forme de progrès : sa population mangeait à sa faim et « l’Ile heureuse », comme on se complaisait alors à l’appeler, était exportatrice de riz, l’aliment de base du Malgache qui en consommerait 140 kgs par an.

En réalité, dès le milieu des années soixante, les Malgaches ont commencé à manifester leurs mécontentements vis-à-vis du pouvoir en place. A leur manière, ils dénoncèrent, d’une part la totale domination de l’économie de leur pays par les étrangers, d’autre part la mainmise du Parti Social Démocrate (PSD), parti politique gouvernemental, sur l’ensemble de l’appareil politico-administratif et de production de l’île.
Il faut noter, en effet, que les étrangers contrôlaient 80 % de l’économie moderne du pays et détenaient 90 % des capitaux qui y étaient investis. Sur les dizaines de milliards de FMG que drainaient annuellement les entreprises étrangères, 36 à 40 % étaient régulièrement transférés hors de la Grande Ile. Enfin, une comparaison des revenus annuels des différents éléments de la population faisait apparaître des différences considérables entre, d’une part les citadins et les ruraux autochtones, d’autre part les étrangers, les disparités étant allées de 1 à 25. Quant au PSD, un auteur avait affirmé qu’il était parvenu à une telle puissance qu’une véritable symbiose s’était faite entre lui, le Régime et l’Etat, et qu’on ne pouvait même plus dire que l’Administration intervenait en sa faveur parce que cette dernière, justement, est devenue un des principaux rouages de ce parti, avec toutes les dérives que cette situation devait immanquablement engendrer
La première crise politique éclata ainsi en 1971 lorsque la Gendarmerie Nationale tenta d’écraser la révolte des éleveurs du Sud-Ouest qui refusaient de payer leurs impôts. Une grève générale, déclenchée un an plus tard, par des lycéens et des universitaires sur la quasi-totalité du pays amplifia le mouvement. La nuit du 12 mai 1972, quelque 400 grévistes réunis à l’Université d’Antananarivo furent alors arrêtés et déportés au bagne de Nosy-Lava.

Cette erreur tactique et politique majeure signa l’arrêt de mort du Régime en place et propulsa au pouvoir, en qualité de chef du Gouvernement, le Général Gabriel Ramanantsoa. La Grande Ile connut alors une nouvelle période politique relativement courte (1972-1975) mais très complexe, émaillée d’affrontements divers entre différentes forces civiles, militaires, politiques et même ethniques. Le point d’orgue en fut la disparition tragique - qui reste à élucider - du Colonel Richard Ratsimandrava, le malheureux successeur du Général Ramanantsoa, assassiné le 11 février 1975 après seulement six jours d’exercice du pouvoir. Mais, paradoxalement, le pays se stabilisa de nouveau après l’avènement, le 01 janvier 1976, de la République démocratique de Madagascar (RDM).


Les avatars de la République Démocratique malgache de Didier Ratsiraka.
Ministre des Affaires étrangères du Général Ramanantsoa, négociateur des nouveaux Accords de coopération avec la France et promoteur de l’ouverture de Madagascar vers les pays de l’Est, Didier Ratsiraka accéda à la magistrature suprême du pays par la voix directe du peuple, après avoir fait adopter par la même consultation populaire une nouvelle Constitution et sa « Charte de la Révolution socialiste malgache », une sorte de profession de foi dans laquelle il manifesta sa volonté, par ailleurs tout à fait légitime, de se démarquer de l’influence française. Il mit en place, par le biais de la révolution socialiste tous azimuts, de nouvelles structures étatiques plus adaptées, de son point de vue, à l’objectif d’indépendance plus réelle de son pays vis-à-vis de l’extérieur.

Dès la fin de l’année 1976, l’étatisation de l’économie de la Grande Ile s’est ainsi traduite par le contrôle à 61 % par l’Etat socialiste malgache de la machine économique, dont 100 % pour les assurances et les banques, l’eau et l’électricité, 78 % pour les exportations, 70 % pour le commerce intérieur, 60 % pour les importations, 35 % pour l’industrie et 14 % pour les transports maritimes.

L’histoire est-elle un éternel recommencement ? La question reste posée car, pour la seconde fois, elle vit l’émergence, l’organisation et le développement au sein d’un nouveau parti politique, l’Avant-Garde de la Révolution socialiste malgache (AREMA), d’une nouvelle bourgeoisie d’affaires nationale au pouvoir tentaculaire, gravitant autour de Didier Ratsiraka et infiltrée dans tous les rouages de la vie politique, économique, sociale et culturelle du pays : les Forces armées, les banques, les assurances, la Justice, les sociétés d’Etat, les grandes compagnies privées et, bien entendu, l’Administration.

Cette nouvelle intrusion de la politique partisane dans la gestion des affaires publiques, couplée avec un climat de morosité de l’économie mondiale, constitua le ferment d’une nouvelle et très importante crise économique, financière et sociale, tous les indicateurs macro-économiques du pays ayant alors viré au rouge.
En 1985, appelés au chevet d’un Etat malgache au bord de la cessation de paiement, le FMI et la Banque Mondiale apportèrent leurs remèdes-miracles, avec les conditionnalités draconiennes d’usage dans leur célèbre Programme d’Ajustement Structurel (PAS) : libéralisation du commerce, privatisation ou dissolution des sociétés d’Etat, levée du monopole d’Etat sur les activités bancaires, dévaluation du franc malgache, assainissement progressif des finances publiques et arrêt des recrutements dans la Fonction Publique, allègement des charges fiscales pesant sur les entreprises, encouragement du développement du secteur informel de l’économie, etc.

Bref, il s’agissait purement et simplement de dynamiter méthodiquement et systématiquement toutes les structures socialisantes du pouvoir socialiste de Didier Ratsiraka : une véritable hérésie pour les dogmatiques et les caciques du Régime ! Mais l’argent coula à flots et permit à une nouvelle frange de la population évoluant dans le secteur informel de se constituer des fortunes colossales en un temps record, sous l’œil indifférent des Institutions de Bretton Woods.

Ce revirement forcé à 180° de la philosophie politique et du modèle de développement économique du pays n’apporta cependant aucun changement palpable sur le plan national, bien au contraire. La grande majorité de la population malgache continua de s’appauvrir d’une manière dramatique. Une nouvelle grève générale déclenchée dans tout le pays en juillet 1991 et une marche pacifique de la foule tananarivienne sur le Palais d’Etat située dans la banlieue sud de la capitale, un mois plus tard, chassèrent alors Didier Ratsiraka du pouvoir, non sans effusion de sang. Il partit se réfugier en France et fut remplacé par Albert Zafy, un professeur agrégé de médecine.

Quatre ans plus tard, Didier Ratsiraka revint cependant à la magistrature suprême du pays, après des élections censées avoir été démocratiques, organisées à la suite de l’échec retentissant de la présidence d’Albert Zafy (1991-1996) qui a fait l’objet d’une procédure constitutionnelle d’empêchement par les membres les plus influents de son propre camp. Mais les événements dramatiques consécutifs à l’élection présidentielle de la fin de l’année 2001(3) le chassèrent encore une fois du pouvoir. En juin 2002, il fut contraint de se réfugier de nouveau en France et vit toujours dans les quartiers chics de la capitale française.
Marc Ravalomanana devint alors le cinquième Président de la République malgache depuis l’indépendance de 1960, mais le premier originaire des Hauts Plateaux - il est important de le souligner - élu par la voie des urnes.


Marc Ravalomanana, l’homme du changement ?
Totalement inconnu du grand public avant son arrivée à la tête de la Mairie d’Antananarivo dont il assura la gestion avec une redoutable efficacité, Marc Ravalomanana étonna tout le monde lorsqu’il se présenta aux élections présidentielles de décembre 2001. Déclaré vainqueur après le premier tour qui a généré moult rebondissements, il déchaîna toutes les passions, tant sur le territoire national qu’à l’extérieur, le fulgurant développement des NTIC ayant permis à la diaspora, via Internet, de prendre une part importante, et sans doute même déterminante, aux débats qui se sont livrés sur le sujet. Il y eut, bien entendu, l’admiration débordante de ses supporters, mais aussi la suspicion, la rancœur, l’esprit de vengeance et la haine viscérale de ses détracteurs.

Self-made-man, propriétaire de la plus importante unité agroalimentaire de l’île, Marc Ravalomanana dérangeait, semble-t-il, à cause de ses origines paysanne et merina (4), des succès qu’il a enregistrés dans la gestion de ses affaires privées (le Groupe Tiko) et publiques (la Mairie d’Antananarivo), enfin de la foi inébranlable qui l’animait. Son credo : la bonne gouvernance. Son ambition : le développement rapide et durable de son pays. Ses moyens : la bonne volonté et l’honnêteté intellectuelle des hommes et femmes dont il s’est entouré, ainsi que le soutien financier de la Communauté internationale, le FMI et la Banque Mondiale en particulier.

Mais la situation économique, financière et sociale que le régime de Didier Ratsiraka lui a laissée en héritage était la plus dramatique que la Grande Ile ait jamais connue depuis son indépendance. Didier Ratsiraka, bien entendu, n’en était pas le seul responsable. Toute sa cour était également et totalement impliquée dans ce terrible échec, plus particulièrement tous ces technocrates hyper-doués (Polytechnique, Centrale, Mines, ISA, IEP, IAE, EDHEC, MBA, etc.) qui, par amitié et fidélité sans doute, ont mis leur science, leur savoir et leur savoir-faire au service de leur chef suprême. Pendant les 25 années de règne sans partage du Président de la RDM, ils n’ont su ni contenir ni neutraliser les manœuvres les plus abjectes des affairistes de tous bords et des opportunistes sans foi ni loi qui ont procédé au pillage systématique et au dépeçage scientifique de toutes les richesses du pays, ravalant ainsi ce dernier aux premiers rangs des pays les plus pauvres du monde.
Marc Ravalomanana s’était engagé à changer cette situation incompréhensible et intolérable. Il a essayé de s’en donner les moyens, mais il n’y eut ni miracles ni «développement rapide et durable», pour reprendre une expression qu’il semblait affectionner. Il s’est pourtant attaqué, avec conviction et résolution, aux sujets les plus urgents : le développement des infrastructures routières, l’amélioration de la protection sanitaire et sociale, le renforcement du système éducatif, mais aussi la bataille contre la corruption, pour inverser le cours de l’histoire et soulager la grande majorité des Malgaches de son insoutenable pauvreté.
A l’instar de ses prédécesseurs, il n’a malheureusement pas su maîtriser à temps les manœuvres insidieuses de son entourage. Le nouveau parti politique Tiako i Madagasikara (TIM) qu’il a créé et fait développer, notamment, est devenu une véritable machine de guerre, non seulement ultra dominante au sein des deux chambres du Parlement, mais encore et surtout infiltrée dans les rouages du pouvoir politique, administratif, financier et de production du pays. Tout naturellement, il a fini par verser dans les errements, les dérapages et les dérives totalitaires du PSD et de l’AREMA en leur temps, signant de facto l’arrêt de mort du Régime.
Il est cependant important, par fidélité à l’Histoire, de mentionner que, très objectivement, Marc Ravalomanana était encore le seul homme politique malgache, depuis l'indépendance de l’île, à avoir eu une vraie vision du développement de son pays et à tenter de se donner les moyens de faire avancer les choses. En quelques années, il a réussi ce que personne d'autre n'a fait, ne serait-ce que pour les infrastructures routières ou le développement de l'agrobusiness. La cécité politique dont il a fait preuve reste incompréhensible, car les signes avant-coureurs de son déclin étaient là, bien visibles, notamment lorsque le TIM perdit la mairie de la capitale aux élections municipales du 12 décembre 2007, au profit d’un jeune et riche chef d’entreprise, Andry Rajoelina, self made man comme lui.

La réélection à la Présidence de la République de Marc Ravalomanana en décembre 2006, bien que difficilement acquise (5), a sans doute pu lui faire penser que tout lui était désormais possible et permis. D'où l'abus - jusqu'à la lie - d’une position dominante, non seulement inacceptable sur le principe, mais également intenable sur le long terme. Réputé personnage, plus d’instinct que de raison, il aurait peut-être dû écouter davantage ses conseillers, les plus lucides et les plus honnêtes d’entre eux. Il y en a eu. Cela lui aurait évité de commettre les trois erreurs politiques majeures qui lui furent fatales et qui ont permis à Andry Rajoelina de lui ravir sa place dans les conditions dramatiques qui sont rappelées dans les lignes qui suivent.

« La révolution orange » d’Andry Rajoelina et l’indescriptible désordre institutionnel qu’elle a généré.
Plagiat de la révolution orange ukrainienne de 2004, la révolution orange malgache de décembre 2008, est la résultante de trois évènements politiquement sensibles qui ont définitivement scellé le sort de l’avenir politique du dernier Président de la République élu de la Grande Ile, réfugié aujourd’hui en Afrique du Sud :

* d’abord, la fermeture de la télévision Viva TV, propriété d’Andry Rajoelina, accusée d’avoir diffusé une récente interview de Didier Ratsiraka sur la situation politique du pays, cette fermeture ayant été citée comme un exemple parmi d’autres d’une nième atteinte des pouvoirs publics en place à la liberté d’expression ;
* ensuite, la révélation de la négociation d’un important contrat entre l’Etat malgache et la société sud-coréenne Daewoo Logistics, relatif à un projet de location de terres pour la culture de maïs et de palmiers à huile : une véritable hérésie d’après ses détracteurs, quand on sait l’attachement viscéral du Malgache à la terre de ses ancêtres ;
* enfin, l’achat par Marc Ravalomanana, d’un nouvel avion présidentiel dont le coût – 60 millions de dollars – aurait plus ou moins correspondu au montant des aides internationales qui devaient être versées aux Pouvoirs Publics malgaches pour des actions, non pas d’apparat, comme on a pu le lui reprocher, mais de développement.


En moins de trois mois, ce mouvement prétendument populaire, alimenté et animé en fait par une foule tananarivienne disparate, déçue de la mauvaise gouvernance de Marc Ravalomanana, a conduit Andry Rajoelina (entretemps démis de ses fonctions de maire de la capitale) et sa troupe à prendre le pouvoir par la force, avec l’aide d’une petite (mais puissamment outillée) fraction de l’armée.

Le bilan de ce coup d’Etat, condamné par l’ensemble de la Communauté internationale, fut très lourd : au moins une centaine de morts, des arrestations arbitraires, un appareil de production - plus particulièrement du Groupe Tiko - pillé et vandalisé, des incitations à la violence, des mutineries, une atteinte invraisemblable à l’intégrité de diplomates étrangers et, enfin, des accusations - totalement infondées – de tentatives d’attentats à la bombe contre les adversaires les plus actifs de cette prise de pouvoir illégal.

Une grave crise institutionnelle s’en est suivie, à laquelle se sont mêlés, de surcroît, les anciens Présidents de la République, Didier Ratsiraka, Albert Zafy et, naturellement, Marc Ravalomanana, chacun d’eux s’obstinant à vouloir reprendre une part active, au plus haut niveau de l’Etat (du moins de ce qu’il en reste), à la gestion des affaires nationales et internationales du pays, par le biais de leurs mouvances politiques respectives.

Plus d’un an après le début de cette crise, aucune solution sérieuse ne semble pourtant se profiler à l’horizon, en dépit des interventions maintes fois répétées et des menaces de sanctions lourdes - notamment financières - de plus en plus précises, brandies par la Communauté internationale (Union africaine, SADC, Union Européenne, Etats Unis), laquelle n’a de cesse de prôner le rétablissement de l’ordre constitutionnel, la mise en place d’institutions transitoires dites « consensuelles et inclusives » et le retour de la démocratie.

Les dernières actualités politiques malgaches apportent chaque jour leurs lots de mauvaises surprises. L’exemple dramatique et le plus injuste est l’exclusion de Madagascar du bénéfice de l’AGOA (African Growth and Opportunity Act, un système de préférence douanière qui permet à certains pays africains de pénétrer plus facilement le marché américain), avec en perspective la destruction de quelque 180 000 emplois directs et indirects liée à la fermeture probable d’au moins une vingtaine d’usines textiles des zones franches touchées par cette mesure à très large connotation politique. C’est également le cas du processus de paix, initié et mis en place au forceps par la Communauté internationale, qui a volé en éclats après la récente décision unilatérale d’Andry Rajoelina de s’en retirer.

Il devient ainsi de plus en plus illusoire de croire et d’espérer que tous les politiciens impliqués dans ce désastre finiront un jour par revenir à la raison et à s'accorder sur un règlement fraternel, consensuel et définitif de leurs querelles ignominieuses. A cause de leur entêtement, de leurs atermoiements, de leurs tergiversations et de leur mauvaise foi manifeste, le Malgache de la rue continue, lentement mais sûrement, sa descente vers les bas fonds de l'indigence la plus absolue. Malgré sa patience légendaire, il ne serait pas surprenant qu’il participe, demain, à des actes de désespoir total : une émeute de la faim, par exemple.

Aussi, la tentation est-elle grande, aujourd’hui, de s’en remettre à l’intermédiation de l’armée, avec un grand «A», celle qui aurait encore le sens de l’honneur, de la parole donnée, de la discipline (c’est son métier !) et de « l’intérêt supérieur de la Nation », cette notion trop de fois galvaudée au cours de cette crise interminable et honteuse. Cette armée aurait pour principale mission de rétablir l’ordre, en mettant en veilleuse la politique et, surtout, en écartant de la direction actuelle des affaires nationales tous les protagonistes de ce désordre institutionnel inacceptable. Elle organiserait ensuite, le plus rapidement possible, de nouvelles élections, pour départager par les urnes tous les prétendants à des fonctions publiques, présidentielles en premier lieu. Ces consultations seraient organisées sous la surveillance étroite d’observateurs internationaux, pour garantir l’égalité des chances des candidats et, surtout, la liberté de choix de chaque citoyen.

La seule et lancinante question est de savoir si la Grande Muette qui, elle aussi, subit actuellement de plein fouet les affres de l’indiscipline de certains de ses éléments, est réellement en mesure de se donner les moyens de la réalisation de cette noble mission, pour que triomphent enfin dans ce merveilleux pays, non pas les hommes ni les mouvances politiques, mais les nouveaux projets de société et les programmes de développement viables et réalisables qui lui ont tant manqué au cours de ces dernières décennies.

Ce sera sans doute le prix fort à payer pour le retour d’une vraie paix sociale, durable et profitable au plus grand nombre. Et c’est tout le mal qu’on puisse souhaiter à la Grande Ile à la veille de la célébration du cinquantenaire de son indépendance, en attendant l’arrivée prochaine d’un nouveau Président de la République qui aurait à la fois «la naïve droiture» d’Albert Zafy dans la conduite des affaires nationales, «la belle prestance» de Didier Ratsiraka, du temps de sa splendeur, au niveau international, «l’instinctive habileté» de Marc Ravalomanana dans les activités économiques et, enfin (soyons fous), «l’insolent jusqu'au-boutisme» d’Andry Rajoelina, le tout dans le seul, unique et exclusif «intérêt supérieur de la Nation»(6).

Roger RABETAFIKA
Institut Supérieur d’Etudes Comptables
Faculté de Droit et de Science Politique
Université Paul Cézanne d’Aix-Marseille III

1.Les pays membres de la COMESA et de la SADC sont : l’Angola, le Burundi, les Comores, la République Démocratique du Congo, Djibouti, l’Égypte, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Kenya, la Libye, Madagascar, le Malawi, l’Ile Maurice, les Seychelles, le Swaziland, le Soudan, l’Ouganda, la Zambie, le Zimbabwe, le Botswana, le Lesotho, le Mozambique, la Tanzanie, la Namibie et l’Afrique du Sud. Un gigantesque marché de plus de 350 millions de consommateurs potentiels.
2. Fourmann E., « Madagascar après la crise, perspectives économiques 2003-2004 », Rapport de la Direction de la stratégie - Département des politiques générales - Division des études macroéconomiques au siège de l’Agence Française de Développement, janvier 2003.
3. Le bras de fer auquel se sont livrés les deux candidats à l’élection présidentielle du 16 décembre 2001, Didier Ratsiraka et Marc Ravalomanana, qui a vu la victoire de ce dernier, a failli plonger le pays dans une effroyable guerre civile aux conséquences incalculables.
4. La population malgache comprend 18 ethnies. L’Histoire a toujours enseigné que les Merina, minoritaires, originaires des Hauts Plateaux, auraient eu la mainmise sur l’essentiel de l’appareil politico-administratif et de production du pays. On avait ainsi l’habitude de les opposer aux 17 autres ethnies de l’île, en appliquant la politique parfaitement rodée mais désormais éculée du régime colonial : « diviser pour régner ».
5.Il ne fut réélu qu’avec 54,79 % des voix.
6.Merci à Lily R. d’avoir insufflé une petite note d’espoir dans l’implacable noirceur de ce bilan.

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